En vogue durant un court instant durant les années 90 en tant que vitrine technique du support CD, le film-interactif a pendant longtemps trainé l’image de jeu bas de gamme, avec des acteurs de seconde zone et des histoires à peine dignes des téléfilms du milieu d’après-midi. Voir ainsi Square-Enix annoncer un tel jeu pour 2022 était donc loin d’enthousiasmer les foules, même si on ne pouvait que louer la prise de risque de l’éditeur à une époque où les grandes structures s’aventurent de moins en moins hors des sentiers battus. Porteur de belles ambitions, The Centennial Case: A Shijima Story est-il la pépite que personne n’attendait ?

Ce test de The Centennial Case: A Shijima Story a été réalisé sur une version PS4 fournie par l’éditeur.

Kitch, mal joué, tourné sans moyens, le film interactif, et plus généralement l’usage de la Full Motion Video dans le jeu vidéo, est loin de faire l’unanimité. Une image qui prend ses origines dans les années 90, quand les séquences vidéo sur Mega-CD ou CD-i ressemblaient surtout à des extraits de série B avec une résolution à peine meilleure que celle d’un timbre-poste. Pourtant, plus de décennies plus tard, le genre a bien évolué et, même s’il reste confidentiel, accouche ponctuellement de quelques belles surprises. En 2020, le très bon Death Come True montrait ainsi qu’il était possible de proposer une aventure interactive de qualité, avec une intrigue bien ficelée et un casting composé de quelques figures bien connues. Quelques années plus tard, The Centennial Case: A Shijima Story passe la vitesse supérieure avec des noms aux crédits dignes des drama que la télévision japonaise est habituée à nous offrir.

Une réalisation digne d’une série TV

Que ce soit au niveau du casting, avec Yuta Hiraoka et Nanami Sakuraba dans les rôles principaux, ou encore du côté de l’équipe technique, avec Koichiro Ito (producteur de Your Name et de Les Enfants du Temps) en tant que réalisateur, un scénario signé Yasuhito Tachibana (producteur de The Naked Director) et Junichi Ehera (NieR Automata) à la production, The Centennial Case: A Shijima Story affiche de belles ambitions. Certes, une accumulation de noms n’est pas la certitude d’un résultat de qualité, mais Square-Enix semble en tout cas avoir tout fait pour éviter de répéter la catastrophe qui s’était passé il y a une poignée d’années avec The Quiet Man.

Et ça marche ! Certes, The Centennial Case: A Shijima Story ne ressemble pas à un blockbuster AAA. Mais entre le jeu d’acteur convaincant (à condition, évidemment, d’être habitué à l’acting japonais) et une réalisation maitrisée, rien ne permet véritablement de distinguer les phases narratives du jeu à un drama tourné pour la télévision nippone. Même les limites budgétaires sont contournées avec pas mal de réussite, comme cette petite astuce scénaristique faisant que l’on retrouve les mêmes acteurs malgré que les enquêtes s’étalent sur près de 100 ans. A noter que le jeu est intégralement traduit en français, même si un petit bug a fait que plusieurs lignes de dialogues se sont affichées en italien durant notre partie. Pour rester sur le côté technique, les bruitages ont plusieurs fois mystérieusement disparus, forçant à relancer le jeu pour y remédier.

Des phases d’enquête décevantes

Franchement solide sur ses appuis côté narratif, The Centennial Case: A Shijima Story est cependant bancal sur tout ce qui concerne son aspect interactif. Concrètement, le jeu se décomposent en trois parties. Après un passage purement narratif (hormis quelques choix à l’impact proche du néant sur le déroulé de l’histoire) posant l’intrigue et le meurtre à résoudre, le joueur est propulsé dans un « espace de réflexion » où il est amené à réfléchir sur l’identité du tueur en associant, tel un puzzle, des « pistes » aux « mystères » afin d’émettre des « hypothèses ». Enfin, une fois les hypothèses levées, il ne reste plus qu’à passer à l’ultime étape où l’héroïne livrera ses conclusions sur l’affaire.

Si le côté puzzle-game dans « l’espace de réflexion » a de quoi intriguer au départ, on se rend rapidement compte que ces séquences ont un intérêt proche du néant. Entre les pistes dont le lien avec le mystère est tellement capillotracté qu’il est impossible d’y penser naturellement, celles qui, a contrario, pourraient faire sens à 100% mais qui, pour une raison obscure, sont en lien avec un autre mystère, et, coup fatal, la présence de motifs sur les « palets » qui permettent de savoir quasiment immédiatement à quel mystère est relié chaque indice, difficile de ressentir le frisson de la recherche de la vérité. Résultat, on se contente de déplacer mécaniquement les pistes de manière à débloquer toutes les hypothèses, sans même réellement chercher une quelconque logique d’enquête derrière.

Passionnant en tant que long-métrage, The Centennial Case: A Shijima Story pêche ainsi à faire vibrer en tant que jeu d’enquête. Alors que dans tout titre du genre, le joueur se doit de pouvoir esquisser des hypothèses au fur et à mesure que l’histoire se déroule pour arriver au moment de la révélation avec toutes les cartes en main, le titre de Square-Enix nous emmène jusqu’à sa conclusion sans jamais réellement offrir assez d’éléments pour tirer une conclusion avant le dernier acte. Résultat, l’ultime étape se résume à une sorte de QCM auquel on aurait pu répondre sans tout ce jeu de piste en amont d’une grande lourdeur.

En plus de leur intérêt restreint, les séquences d’enquête s’avère être d’une grande lourdeur. Chaque hypothèse dévoilée lance en effet une animation qu’il est impossible de passer ou même d’accélérer, ce qui rend rapidement le tout imbuvable sachant qu’il y en a plusieurs dizaines à débloquer pour chaque intrigue. De même, la moindre erreur de jugement lors de la dernière phase du jeu inflige une double peine, la note attribuée s’en retrouvant dévaluée tandis qu’il retourne à l’étape précédente, le forçant de nouveau à revoir des cinématiques impossible à passer.