Après avoir longtemps ignoré, pour ne pas dire renié, la saga crée par Yu Suzuki malgré l’appel incessant des fans depuis quasiment plus de 15 ans, Sega s’est finalement rendu compte qu’il pouvait y avoir quelques billets à se faire sur le dos de Shenmue sans pour autant prendre trop de risques. C’est ainsi que l’éditeur s’est décidé à offrir aux fans ce qu’ils attendaient depuis de nombreuses années, à savoir un remaster HD des deux premiers opus, histoire de patienter tant bien que mal d’ici la sortie du tant attendu troisième épisode. Restait donc à voir comment allait être traité cette compilation. Et pour parler franchement, sa qualité est inversement proportionnelle aux immenses qualités de Shenmue I et Shenmue II.
Ce test Shenmue I & II a été réalisé sur une version Playstation 4 fournie par l’éditeur. Le patch day-one a été appliqué dès la première partie.
Petit retour dans les années 90, à l’époque de la Sega Saturn. Après avoir donné vie à de nombreux jeux au gameplay court comme Hang-On, Out-Run ou Virtua Fighter, Yu Suzuki se lance dans la création d’un projet beaucoup plus ambitieux et proposant une expérience beaucoup plus longue et touffue. Débuté en 1996, le développement d’un RPG basé sur l’univers de Virtua Fighter va cependant basculer de la Saturn à la Dreamcast en 1997 avant que les liens avec la série de jeux de combats soient rompus en 1998 afin d’en faire une création totalement originale. Connu jusqu’à présent sous le nom de Project Berkley, le jeu s’appellera dorénavant Shenmue et suivra l’histoire de Ryo Hazuki. Sorti finalement en 1999, Shenmue: Chapter 1: Yokosuka sera suivi deux ans plus tard par Shenmue II avant que la série ne disparaisse totalement des écrans radars durant de trop nombreuses années. La faute à un développement extrêmement coûteux, le plus coûteux jamais réalisé à l’époque, que des ventes bien trop décevantes n’ont jamais réussi à rentabiliser.
Shenmue et Shenmue II, c’est 10/10
Immergé dans le Japon de 1986, vous incarnez le personnage de Ryo, fils unique d’Iwao Hazuki, un maître en arts martiaux possédant une certaine renommée. C’est par une froide journée de novembre que vous allez assister à l’assassinat de votre père par un dénommé Lan Di, un chinois venu chercher un mystérieux miroir dissimulé dans le dojo familial. Remis tant bien que mal de vos émotions, vous voilà donc parti arpenter les rues d’une poignée de quartiers de Yokosuka à la recherche d’informations pour mettre la main sur l’assassin de votre père et assouvir ainsi votre soif de vengeance. Une aventure dont le premier Shenmue ne représente que l’introduction, celui-ci n’étant que le premier des 16 chapitres sur lesquels l’histoire est censée tenir, celle-ci prenant par ailleurs réellement son envol une fois notre héros arrivé à Hong-Kong dans Shenmue II.
Incroyablement ambitieux pour son époque, Shenmue était alors présenté par Sega comme un FREE (pour Full Reactive Eyes Entertainment), à savoir un système de jeu à la troisième personne où le joueur est théoriquement capable de tout faire au sein d’un univers cohérent. Remettons nous un instant dans le contexte de l’époque. En 1999, le monde accueillait seulement le deuxième épisode de GTA, alors encore en 2D, et le premier Yakuza n’allait voir le jour que 6 ans plus tard. Se balader librement dans un univers en 3D de toute beauté était donc une véritable prouesse technique et une expérience de jeu jamais vu jusqu’alors. Ouvrir chaque tiroir, prendre n’importe quel objet en main, faire des courses à la supérette ou encore jouer en salle d’arcade, tant d’actions qui semblent banales de nos jours mais qui à l’époque procuraient un sentiment de liberté incroyable.
Pour immerger pleinement le joueur dans son univers, Yu Suzuki a également fait en sorte que le temps s’écoule dans Shenmue et que la ville entière évolue en fonction de l’heure de la journée avec de surcroît un système de météo basé sur le véritable temps dont bénéficiait Yokosuka en 1986. Les magasins ont donc des horaires d’ouverture et de fermeture, les habitants mènent leur vie en fonction du moment de la journée, et il sera fréquent que l’on vous donne un rendez-vous à un horaire bien précis. Si vous le ratez, vous êtes bon pour retenter le lendemain, voir tout simplement ne plus pouvoir assister à un événement particulier. L’immersion est totale et casse par ailleurs la linéarité que peuvent connaître les jeux à base d’enquête. En contrepartie, il faut certes reconnaître que cela peut occasionner des phases de creux à plusieurs moments de l’aventure.
Souhaitant proposer une expérience variée au joueur, Yu Suzuki a également inclus d’autres éléments de gameplay permettant de varier les plaisirs. Le premier Shenmue a ainsi démocratisé les désormais célèbres QTE et le titre laisse régulièrement l’occasion de s’adonner à des sessions de combats, vestige de ses origines liées à Virtua Fighter. Bien que globalement faciles, à l’exception notable de ceux de la toute fin du jeu, les affrontements offrent de bonnes sensations et sont d’une grande richesse avec une multitude de techniques à apprendre et à développer au fil des entraînements. Pour souffler dans cette atmosphère tout de même bien sombre, il est enfin possible de se détendre en se faisant une partie de Hang-On, Space Harrier, de fléchettes, ou encore de se lancer dans une collection de gacha, ces figurines obtenues aléatoirement contre 100 petits yens.
Précurseur en son temps, il est évident que le « Whaou effect » ne marchera plus 19 ans plus tard pour qui découvrirais la série avec cette compilation. Entre-temps on aura connu plus beau, plus grand, plus touffu, et se lancer dans Shenmue I & II sans savoir où l’on met les pieds est la garantie d’une bonne dose d’incompréhension pour beaucoup de joueurs. Cela étant dis, il reste tout de même impressionnant de voir que les deux opus restent toujours aussi agréables à jouer après tant d’années, malgré une maniabilité toujours aussi rigide, grâce à une esthétique fabuleuse et à un sentiment d’immersion rarement égalé.
Une compilation bâclée
On aurait s’arrêter là. Faire les louanges des deux premiers Shenmue et leur donner un 10/10 qu’ils auraient mérité. Mais le travail effectué sur cette compilation se doit d’être évidemment pris en compte et c’est là que les choses se gâtent fortement. On comprendra facilement que Shenmue I & II ne soit pas un véritable remake avec une refonte totale du moteur graphique, à la manière de Shadow of the Colossus ou des Yakuza Kiwami. Reprendre un jeu de zéro demande du temps ainsi que beaucoup d’argent et il est compréhensible que Sega n’ai pas eu envie de prendre de tels risques en raison du passé de la licence. Dès lors, la possibilité de jouer en 16/9 et le petit lissage HD s’avèrent suffisant à notre bonheur, surtout que le jeu a très bien vieilli esthétiquement malgré son grand âge. On notera à ce sujet que les cinématiques ainsi que les passages scriptés, comme par exemple l’utilisation du téléphone, sont obligatoirement au format 4/3. Mais ce n’est pas pour autant une raison de faire le strict minimum, pour ne pas dire bâcler le travail sur de nombreux points.
C’est bien simple, Shenmue I & II est tout simplement rempli d’une quantité impressionnante de bugs sonore et visuels, d’importance plus ou moins grande, donnant l’impression de jouer à une version mal émulée du jeu à l’aide d’un ISO récupéré sur des sites pas vraiment légaux. Il n’est ainsi pas rare de voir des bugs de collision ou que des bruitages disparaissent soudainement alors que la version d’origine ne souffrait d’aucun de ces maux. A titre d’exemple, nous avons dû relancer le jeu plusieurs fois suite à un bug lors des sessions de forklift, le jeu se retrouvant bloqué en vue FPS quand nous terminions notre journée de travail en conduisant notre engin en vue subjective. Il est d’ailleurs important de souligner que ce test a été réalisé après application du patch day-one, censé corriger de nombreux bugs, ce qui est donc particulièrement inquiétant sur ce qu’aurait été l’état du jeu avant application de celui-ci.
Nouveauté bienvenue de cette compilation, la localisation française s’avère quant à elle totalement désastreuse. Entre le langage totalement inapproprié (le vendeur de la supérette qui sort des « merci, mec » aux clients), les erreurs factuelles (« Qui est cette personne ? » traduit en « Qu’est-ce que cette chose ? », car manque de bol, « personne » et « chose » peuvent se dire avec le même terme en japonais) ou encore l’utilisation aléatoire des « -san » ou « -sama » alors que ceux-ci ne veulent rien dire en français, le travail réalisé sur cette version est tout simplement indigne des deux titres. On soupçonnera fortement une traduction ait été faite directement depuis la version anglaise du jeu, déjà très limite en 1999. Même les crédits de fin ont droit à quelques fautes d’orthographe, preuve du soin accordé à ce remaster.
On aurait également apprécié un travail sur les quelques lacunes d’origine dû aux limitations techniques de la Dreamcast. Les bruitages et les voix sont restés en l’état, avec leur aspect étouffé et compressé, tandis que l’on doit toujours attendre qu’un PNJ ait terminé de monter un escalier pour pouvoir enfin poser le pied sur la première marche. La possibilité d’avancer le temps, présente dans Shenmue II, aurait également gagné à être incluse dans le premier opus. Enfin, le Shenmue Passeport répond aux abonnés absents alors qu’il aurait été facile d’inclure son contenu, hormis le contenu online de l’époque, dans la galette du jeu. Adieu donc la possibilité d’écouter les musiques du jeu, de visionner les cinématiques, ou encore les présentations de personnages. Mais Sega semblait visiblement plus soucieux du portefeuille des fans que de leurs attentes.