En ces temps où les éditeurs préfèrent souvent pondre des montagnes de remasters plus ou moins flemmards plutôt que d’offrir quelque chose de radicalement nouveau, la prise de risque faite par Sega et le Ryû ga Gotoku Studio à de quoi surprendre. Et pas qu’un peu. Après six épisodes canoniques à la formule inchangée, la série des Yakuza opère avec Yakuza Like a Dragon un virage follement osé. Celui de quitter ses habits de jeu d’aventure, ceux-là même qui ont fait qu’on l’a souvent appelée à tort le « GTA japonais », pour devenir un J-RPG s’inspirant ouvertement de Dragon Quest. Le tout en changeant de personnage principal, mettant de côté le légendaire Kiryu Kazuma au profit d’un certain Ichiban Kasuga. Des choix audacieux qui dans tous les cas imposent une forme de respect face aux risques pris, mais s’avèrent-ils pour autant payant une fois manette en main ?
Ce test de Yakuza Like a Dragon a été réalisé sur une version Xbox fournie par l’éditeur et réalisé sur une Xbox One S.
Débutée en 2005 sur PlayStation 2, la série des Yakuza semblait vouée à garder pour toujours la même formule. Celle d’incarner Kiryu Kazuma dans le quartier de Kamurochô, copie fantasmée de celui de Kabukichô situé dans le cœur de Tokyo, et à défoncer du yakuza à coup de poings en martelant sa manette. Mais toutes les bonnes choses ayant une fin, Sega et le Ryû ga Gotoku Studio ont fait le choix pour le septième opus canonique d’offrir un nouveau départ à la série. Fini les aventures tokyoïtes de Kiryu, place désormais à Ichiban Kasuga, jeune yakuza membre de la famille Arakawa ayant accepté d’aller en prison pendant 18 ans à la place d’un membre de son clan et abattu de sang froid par son patriarche une fois sorti de derrière les barreaux. Laissé pour mort, Ichiban va trouver refuge dans la banlieue de la capitale nippone dans la ville portuaire de Yokohama et plus précisément dans le quartier de Isesaki Ijinchô. L’occasion d’un nouveau départ pour l’ancien yakuza, sauvé miraculeusement par un SDF ancien infirmier, qui va se retrouver impliqué au cœur d’un complot à l’ampleur insoupçonnée. Une entrée en matière prenant mine de rien quelques chapitres (sur un total de 15) et relativement fastidieuse par moment, donnant l’impression de suivre un tutorial géant pendant plusieurs heures.
Une formule renouvelée en profondeur
Comme pour mieux marquer son nouveau départ, Yakuza Like a Dragon n’a pas repris la numérotation dans sa dénomination occidentale laissant au seul Japon le chiffre « 7 » dans son titre. Il faut dire que le jeu a fait grandement table rase du passé avec un nouvel environnement, de nouveaux personnages, et un nouveau système de jeu, même si de nombreuses références aux anciens opus sont évidemment présentes. Si l’on a encore l’occasion de déambuler dans Kamurochô ainsi que dans une autre ville bien connue des fans, ces passages s’avèrent à la fois limités en terme de temps mais également d’intérêt, le gros de l’aventure (et des activités annexes) se déroulant à Isezaki Ijincho. Une ville d’une taille comme jamais vu dans la série en faisant à vue de nez facilement le triple de Kamurochô, mais également moins oppressante avec ses grands espaces autour du port et ses larges avenues. Même si sa superficie fait que certains endroits sont moins garnis que d’autres, le quartier reste pour autant d’une grande richesse avec sa multitude de commerces, de quêtes annexes, mais également de mini-jeux. Au delà des traditionnelles salles d’arcade, plusieurs divertissements sont venus se greffer pour enrichir l’expérience, tels les courses de karts, la pèche aux canettes pour se faire de l’argent (très utile en début de partie) et surtout le jeu de gestion commerciale, activité hypnotique et source de revenus quasiment indispensable en cours de partie. De quoi faire grimper en flèche une durée de vie qui flirt déjà avec les 30/40h pour qui ferait le jeu en s’attardant que modérément sur les activités annexes.
Au niveau du casting, le passage entre Kiryu Kazuma et Ichiban Kasuga est lui aussi radical. Après avoir incarné pendant six épisodes une personnalité respectée et influente de la pègre locale, nous voici désormais dans les baskets d’un membre tout en bas de l’échelle, pas respecté, sans véritable charisme et un peu « concon » même si rempli de bons sentiments. Ses compagnons sont du même acabit avec un policier déchu, un SDF, ou encore une hôtesse de bar… On est loin du casting trois étoiles où l’on incarnerait la crème de la crème des yakuzas. Ce casting particulier est cependant une belle réussite et tous les protagonistes s’avèrent attachant, même si il faudra attendre les prochains opus pour espérer voir Ichiban, encore un peu trop lisse, obtenir la même aura que son illustre prédécesseur.
Malgré ce cadre fortement renouvelé, nous sommes pour autant bien face à un Yakuza avec son mélange de passages sombres et d’autres totalement perchés, les premiers étant généralement réservés à la quête principale tandis que les secondes se retrouvaient principalement au sein des quêtes annexes. Ce cocktail savamment dosé au fil des années voit son équilibre cependant assez fortement remis en question dans cet opus, le côté « WTF » étant omniprésent. L’attitude beaucoup plus excentrique d’Ichiban joue forcément après des années à incarner Kiryu, mais la structure même du jeu y est pour beaucoup. En devenant un J-RPG, Yakuza plonge son principal protagoniste dans des sortes d’hallucinations comme le serait un adolescent totalement immergé dans son jeu. Une fois un combat engagé, vous voilà donc grimé en policier, danseur de hip-hop, hôtesse ou ouvrier de chantier, en train d’affronter des amateurs de club SM habillés d’un simple slip… Chaque affrontement est ainsi une véritable plongée dans un monde totalement détraqué et nous coupe totalement de l’ambiance sombre qui pourrait régner. Un choix qui risque de déplaire à ceux qui aiment avant tout la série des Yakuza pour sa trame principal plus que pour ses excentricités.
Un J-RPG efficace mais à peaufiner
Ouvertement inspirés de Dragon Quest, un hommage non dissimulé qu’on retrouve jusqu’à plus soif, les combats sont le changement le plus visible du passage au J-RPG. Fini le temps réel et place désormais au tour par tour. Un changement radical mais qui fait du bien dans une série qui s’était contenté de peaufiner sa formule sans pour autant la révolutionner durant toutes ces années. Si la première moitié du jeu ne laisse pas de latitudes pour composer son équipe de quatre, la seconde partie permettra, en raison de l’arrivée de nouveaux personnages, de mettre sur pied son roaster personnalisé en fonction des spécialités de chacun (Magie, attaques à l’arme blanche, etc…) , à condition toutefois de faire obligatoirement combattre Ichiban Kasuga. Pour intégrer la magie et les handicaps, les développeurs ont eu la bonne idée de transposer ces éléments de manière relativement réaliste. Il est ainsi possible de s’enrhumer, et de le refiler aux autres membres de l’équipe, et Namba, le SDF du groupe, peut lancer des attaques basées sur sa mauvaise haleine… Pas vraiment du meilleur goût, à l’image du traitement assez dévalorisant réservé de manière générale aux SDF dans le jeu.
Malgré ce passage au tour par tour, les combats réussissent pour autant à garder leur punch et restent jouissif en ne laissant que peu de temps morts. Les amateurs de J-RPG risquent cependant de rester un peu sur leur faim en raison du manque de profondeur et de stratégie du système. Attaquer, se protéger, utiliser une technique, des objets, ou un simili-d’invocation, rien de bien novateur à l’horizon et on se retrouve dans les faits à spammer tout le temps les même attaques pour arriver au bout des affrontements. Un travers dû en partie à la difficulté du jeu, globalement basse la majeure partie du temps mais qui n’empêche pas quelques pics en fin de jeu nécessitant de farmer quelques heures et d’aborder les combats avec stratégie. Côté back-office, on retrouve un système de statistiques, celle-ci évoluant en fonction de l’équipement, du niveau du personnage, mais également du métier qu’il occupe.
Un saut à Hello Work, l’équivalent nippon de notre Pôle Emploi, permet à Ichiban et ses amis de changer de job, ce qui a une incidence directe sur les statistiques mais également sur les techniques qu’il sera possible d’utiliser. Bien qu’il soit possible d’en changer librement à n’importe quel moment, cette décision implique une nouveau départ à zéro, les métiers ayant un système de rang basé sur l’expérience qui permet de débloquer de nouvelles techniques au fur et à mesure mais également d’améliorer les statistiques. Changer de job en cours de route est ainsi la certitude de voir ses caractéristiques chuter brusquement, tout en ayant une palette de coups moins large et possiblement un nouvel équipement à acheter. A faire avec parcimonie donc.
Autre élément à prendre en compte lors des combats est celui de l’amitié qui se noue entre Ichiban et ses compagnons de galère. En partageant des repas ou en prenant le temps d’échanger autour d’un verre, il est possible d’augmenter l’affinité entre les membres avec à la clé de nouvelles attaques et un soutien accru dans le feu de l’action. Un haut niveau d’affinité permettant également au combattant laissé sur le carreaux d’emmagasiner plus d’expérience même s’il ne participe pas aux combats, cet aspect du jeu n’est pas à négliger pour mettre toutes les chances de son côté au moment d’aborder les derniers combats, particulièrement relevés, du jeu. Enfin, Ichiban Kasuga se démarque de ses amis avec une personnalité qu’il est possible de faire évoluer sur plusieurs aspects (Passion, Confiance en Soi, Gentillesse, Charisme, Intelligence et Style), permettant in fine de débloquer de nouveaux jobs.
Un jeu de transition
Sorti pile-poil pour le lancement des consoles de nouvelle génération, Yakuza Like a Dragon marque également à sa manière une transition au sein de la série. Par tous les éléments développés ci-dessus mais également techniquement, le jeu étant développé à la base pour le duo PS4/Xbox One mais mettant en avant ses améliorations sur Series S/X au point d’étant presque considéré comme un jeu de lancement pour les nouvelles machines de Microsoft. Coincé entre deux génération, le titre marque cependant clairement ses limites sur ce qu’il convient d’appeler les consoles d’ancienne génération et plus particulièrement sur Xbox One S, machine ayant servi pour réaliser ce test. L’envergure d’Isesaki Ijincho en est probablement responsable, mais entre un nombre d’images par seconde globalement peu élevé, des ralentissements à foison, des temps de chargements à la limite du supportable par moment et des graphismes moins impressionnant que dans Judgment ou Yakuza Kiwami 2, Yakuza Like a Dragon est clairement trop ambitieux pour la PS4 et la Xbox One sans pour autant être transfiguré graphiquement sur Series S/X, les machines de Microsoft se contentant essentiellement d’assurer un framerate fluide (ce qui est déjà une très bonne chose).
A l’heure de faire un bilan de Yakuza Like a Dragon, il est incontestable que la sauce prend. Plaisant manette en main, le jeu bénéficie d’un souffle de fraicheur qui donne une seconde jeunesse à la série, qui plus est pour le public français qui pourra enfin découvrir un opus de la série traduit dans sa langue depuis le premier Yakuza sorti sur PlayStation 2. Pour autant, nous sommes face à un J-RPG somme toute assez basique et un Final Fantasy ou Dragon Quest bénéficiant du même gameplay serait probablement jugé beaucoup plus sévèrement. Mais l’ambiance, le cadre, l’histoire, tout cela fait que ça marche une fois le jeu remis dans son contexte. La copie se devra d’être revue et améliorée dans le cas d’une suite gardant le même gameplay. A moins que Yakuza Like a Dragon soit voué à n’être qu’un OVNI tirant sa saveur de son côté exceptionnel, un coup de maitre destiné à ne pas se répéter.