Il est là, enfin. Dix-huit ans après un second opus se concluant sur un cliffhanger haletant, Shenmue III est enfin là pour poursuivre une histoire attendue corps et âmes pour un noyau dur de fans pendant bien trop longtemps. Lourdement moqué pour ses énormes lacunes techniques entrevues au fil des trailers, le jeu de Yu Suzuki avait su rassurer en partie lors de la mise en ligne de la démo réservée aux backers. Place maintenant à l’heure de vérité avec cette question en tête : saura-t-il satisfaire les fans ?

Ce test de Shenmue III a été réalisé sur une version PlayStation 4 achetée sur nos deniers malgré les 50 collectors qui attendaient le testeur.

16 juin 2015, Los Angeles. La conférence E3 de Sony bat son plein quand un jeu financé par Kickstarter est annoncé sur scène. Dans la salle, pas de réaction, ou très peu. Au milieu des jeux AAA, un jeu indépendant faisant appel au crowdfunding est loin d’être le genre de chose pour lequel on suit le salon de l’E3. Puis une vidéo se lance, accompagnée d’une musique reconnaissable entre 1000. C’était Shenmue III, éternelle arlésienne du jeu vidéo qui annonçait après 14 ans d’attente son arrivée plus ou moins prochaine à condition de lever un minimum de 2 millions de dollars. Un palier atteint en un clin d’œil avant de voir la cagnotte s’élever à 6,3 millions de dollars lors de la clôture du Kickstarter puis de se stabiliser définitivement à 7,1 millions après une petite resucée suite à la sortie des remasters Shenmue I&II. Un montant toutefois bien loin des 47 millions de dollars nécessaires à l’époque pour développer le premier opus et une partie de sa suite.

L’histoire reprend ainsi exactement là où la saga s’était arrêtée à l’époque, Ryo Hazuki sortant enfin de la grotte dans laquelle il vient de découvrir une fresque représentant les miroirs du Phénix et du Dragon pour partir à la recherche du père de Shenhua. Celui-ci, visiblement lié aux miroirs recherchés activement par Lan Di, a été enlevé par un groupe de voyous en compagnie d’autres tailleurs de pierre. Pour quelle raison ? On vous laisse découvrir par vous-même, il serait dommage de trop en dire après autant de temps. Mais sachez tout de même qu’une fois bouclé après une vingtaine d’heures de jeu en ligne droite, Shenmue III n’aura pas vraiment fait avancer une situation en suspens depuis près de 20 ans.

Un vrai Shenmue, comme à l’époque

Il faut se faire une raison. Shenmue III n’est pas un jeu qui décroche les mâchoires comme ses illustres ancêtres, que ce soit en terme de gameplay ou de technique. Ce qui est certes dommage, l’effet « whaou » faisant partie intégrante du succès de ces derniers, mais était-il seulement possible d’arriver à un même niveau après une naissance aussi douloureuse ? Clairement pas. Mais ce n’est pas ce qu’attendaient les fans. Eux voulaient simplement découvrir la suite de l’histoire et retrouver les même sensation qu’à l’époque avec, si possible, quelques nouveautés intéressantes.

Ceux-ci seront ainsi aux anges de retrouver Shenmue dans son jus, de retrouver une formule qui les avait charmés en 1999 puis en 2001, donnant véritablement l’impression de jouer à un jeu de 2003 dont la sortie n’aurait eu lieu qu’en 2019. Le titre souffre aussi des même limitations qu’à l’époque rendant par exemple impossible de traverser un simple cours d’eau à pied, de grimper sur un rocher, ou même d’envoyer voler une chaise qui bloquerait le passage. Frustrant, même si on n’espérait pas un open-world à la sauce 2020 étant donné le budget du jeu. Une fois la manette dans les mains, les sensations sont ainsi les même qu’à l’époque et le plaisir est immédiat pour qui a saigné les deux premiers opus. Déambuler dans les ruelles à la recherche d’indices, tuer le temps en jouant à des mini-jeux, flâner dans des décors dépaysant, tout ce qui faisait le sel du jeu d’origine est là, presque en l’état. On regrettera toutefois la disparition du système d’horaires qui faisait que les commerces étaient ouverts à des heures précises et qui donnait une véritable sensation de monde cohérent et vivant. Un détail certes, mais non négligeable pour une série qui mettait en avant son univers reproduisant la vie réelle et allant jusqu’à se baser sur la véritable météo de Yokosuka lors des événements du premier Shenmue.

Du côté des mini-jeux, ceux-ci sont globalement moins intéressant qu’auparavant et pèchent essentiellement par l’absence des bornes d’arcade made in Sega. Au lieu de cela, un simili-Virtua Fighter sans intérêt a fait son apparition tandis que le reste des activités n’a rien d’aussi envoûtant que ce que pouvait proposer les parties de fléchettes, mystérieusement absentes ici. Heureusement, les deux jeux basés sur le système de QTE sont eux toujours bien présent pour ceux souhaitant mettre au défi leurs réflexes. Contrairement aux précédents épisodes où l’on pouvait passer des journées entières dans la salle d’arcade, les mini-jeux de Shenmue III se jouent bien plus occasionnellement, histoire de tuer le temps l’espace de cinq minutes.

Globalement identique, le gameplay a toutefois grandement évolué du côté de son système de combat de manière à, selon Yu Suzuki, retranscrire plus fidèlement le kung-fu. Assez perturbant dans un premier temps, les affrontements sont basés sur des combinaisons de boutons à appuyer dans un ordre particulier pour lancer des coups spéciaux, rendant les affrontements plus tactiques et moins bourrins qu’à l’époque. Une fois maîtrisé le nouveau système, le plaisir est bel et bien là même si la visée avec le stick droit s’avère peu ergonomique, rendant les combats contre un groupe d’ennemis rapidement confus.

Histoire de ne pas rester bloquer au premier boss venu, la case entrainement sera rapidement obligatoire. Outre les trois mini-jeux assez basiques permettant d’améliorer l’endurance, il est également possible de participer à des combats d’entrainement destinés à améliorer sa maîtrise des techniques spéciales, chaque prise de niveau améliorant au passage la puissance de frappe. Mais la toute nouvelle jauge d’endurance va compliquer quelque peu la donne.

La jauge d’endurance qui rend fou

Sur le papier, celle-ci avait de quoi intéresser. Dans un titre ayant en son cœur la notion de réalisme, l’idée de voir Ryo gérer ses efforts était en soi loin d’être saugrenue. Fondamentalement, celle-ci reprend l’apparence la jauge de vie des deux premiers opus présente lors des combats sauf qu’elle impact désormais n’importe quelle action du quotidien telle une barre de stamina. Le simple fait de marcher la réduit légèrement, courir l’impactera encore plus, tandis que les combats et les entraînements la feront fondre comme neige au soleil. Une fois vide, impossible de courir plus d’une poignée de secondes et vous êtes bon pour dire adieu à toute activité physique. Dans ce cas une solution s’impose : casser la croûte. Sauf que la nourriture n’est pas gratuite dans Shenmue III et Ine-san n’est pas là pour vous donner de l’argent comme à la maison.

Totalement fauché, Ryo devra donc effectuer diverses activités histoire de gagner de quoi remplir son estomac. Vendre des plantes ou des collections de gatcha, prendre part à des petits boulots ou tout miser sur le jeu, les possibilités sont multiples pour arriver à sortir notre héros de la précarité. Seul problème, la jauge se réduit assez rapidement (et se vide même en étant tout simplement à l’arrêt) et implique de manger plusieurs fois par jour alors que l’argent ne coule pas à flots. Si une fois arrivé dans la ville de Niaowu la situation s’améliore légèrement avec la possibilité de livrer des caisses au chariot élévateur, activité plus rémunératrice que la coupe de bois, la progression se trouvera régulièrement bloquée en raison d’un manque de fonds empêchant de récupérer de l’énergie.

Déjà agaçante car impliquant de farmer parfois de longs moments pour se remplir les poches, cette limitation s’avère particulièrement frustrante quand on se retrouve en plus à devoir faire du level-up massif pour améliorer son niveau de kung-fu et être en mesure de battre certains ennemis coriaces. La patience de certains pourra être mise à rude épreuve quand, après avoir passé de longs moments à couper des bûches à la chaîne, il faudra enchaîner avec des sessions d’entrainement toutes aussi interminables pour devenir plus fort et voir sa journée partir en fumée. Dans ces conditions, difficile de comprendre la volonté de Ys Net de ne pas faire remonter la jauge graduellement une fois le héros à l’arrêt. Mélanger jauge de stamina et celle de PV, une nouveauté de cet opus qu’on aurait bien aimé ne pas voir implémentée.

Une technique difficilement excusable

Au tournant des années 2000, les deux premiers Shenmue étaient de véritables joyaux. Des jeux ambitieux, d’un réalisme jamais vu, et réellement en avance sur leur temps techniquement. Sans surprise au vu du contexte qui l’a vu naître, Shenmue III est à des années lumières du côté blockbuster de ses aînés. Soyons franc, l’aspect technique est à la limite de l’excusable. Passe encore les textures simplistes et la modélisation basique des personnages, mais l’abondance de ralentissements, de saccades, et l’énorme effet de popping font vraiment tâche, en tout cas sur PlayStation 4, la version ayant servie pour ce test. Pas si catastrophique que ça au village de Bailu, la situation se gâche fortement arrivé à Niaowu, ville bien plus imposante où de nombreux PNJ apparaissent plusieurs secondes en retard alors qu’ils sont à un mètre de nous, quand ce n’est tout simplement pas des pans entiers du décors qui font brusquement leur apparition comme par magie. On a beau être indulgent en raison du contexte particulier de la naissance de ce jeu, il n’est pas non plus question d’accepter tout et n’importe quoi pour cette simple raison.

Moins visible mais tout de même à souligner, le jeu souffre de quelques soucis de scripts n’impactant certes pas la progression mais rendant des discussions totalement incohérentes. Il nous est ainsi arrivé de parler à un personnage pendant un long moment, puis de déclencher par la suite le script censé se lancer lors de la première interaction entre les deux individus. Étrange sensation que celle de voir quelqu’un nous interpeller et se présenter après nous avoir aidé. Quant aux visages, un des principaux points de moqueries lors des trailers, ceux-ci varient du très mauvais au bon. Si Shenhua est globalement réussie avec des traits tout en finesse, Ryo est malheureusement totalement raté et les gros plans sont souvent l’occasion de sensation de malaise en raison de ses expressions faciales tout tout sauf naturelles.

Pour en finir sur ce long passage sur l’aspect technique de Shenmue III, impossible de ne pas souligner les séquences narratives entachées de nombreuses coupures. Que ce soit par des fondus ou de véritables « cuts », les cinématiques sont coupées à de multiples reprises pour ne sauter qu’une poignées de secondes voir, dans le pire des cas, ces coupures prennent place entre deux phrases sans que la caméra n’ai pour autant changé d’angle. Un résultat qui fait tâche comparé aux deux premiers Shenmue à l’aspect cinématographique très développé pour l’époque.

La magie opère, malgré tout

Malgré ses textures simplistes et ses énormes tares d’ordre technique, Shenmue III réussit toutefois la prouesse d’être pour autant un jeu d’une grande beauté artistique. L’esthétique et l’ambiance qui s’en dégagent sont véritablement ses deux plus grandes qualités et font qu’au final, la magie opère. Shenmue III est certes imparfait, mais il s’en dégage une véritable âme. Véritable preuve qu’un jeu peut être beau sans être techniquement au niveau de standards de son temps, le titre de Yu Suzuki bénéficie également d’une ambiance plus intimiste, à mi-chemin entre les deux premiers opus de la saga. Plus vaste que Yokosuka mais moins oppressante que Hong-Kong, Shenmue III apparaît comme le compromis parfait qui devrait satisfaire à peu près tout le monde.

Au moment de rendre la conclusion de ce test, une évidence s’impose. Pris « cliniquement » et avec des critères objectifs, Shenmue III n’est clairement pas digne des standards de son temps. Et il serait trop facile de trouver toutes les excuses du monde au jeu pour expliquer ses lacunes et ses choix de gameplay discutables. Un jeu s’appelant autrement et sortant dans les même conditions ne pourrait pas prétendre à obtenir la moyenne, clairement. Cependant, il est également nécessaire d’analyser l’oeuvre dans son contexte et, dans le cas qui nous intéresse ici, il est surtout question de savoir une chose : répondra-t-il aux attentes des fans ? Le jeu ne s’y trompe d’ailleurs pas et offre de nombreux clins d’œils aux précédents opus ainsi qu’un temple « Save Shenmue » à la gloire des backers (et de Yu Suzuki aussi). A cette question, la réponse est clairement oui, malgré tout. Shenmue III est un jeu venu tout droit du passé et qui fera ressentir exactement les même sensations qu’à l’époque tout en poursuivant une histoire arrêtée en cours de route. Les fans n’attendaient pas forcément plus.

shenmue III
Shenmue III
Note des lecteurs78 Notes3.8
Les plus
Une véritable suite loin d'être au rabais
L'ambiance, les sensations, tout ce qui fait l'ADN de Shenmue est bien là
Enfin la suite de l'histoire !
Esthétiquement réussi
Le nouveau système de combat, imparfait mais intéressant
Un jeu qui saura charmer les fans, ce qui reste le plus important au final
Les moins
Une technique d'un autre âge cumulée à des saccades, du popping et des problèmes de scripts
L'abondance de "cuts" incompréhensibles dans les scènes narratives
Les même limitations qu'en 2001
La jauge d'endurance
"Farmer", encore et encore
Les magasins n'ont plus d'horaires
On n'en ressort pas vraiment avancé
6
Intéressant
En deux mots
Il ne fait aucun doute que Shenmue III ne parlera qu'à une poignée de personnes. Ceux qui, charmés par deux opus incroyables et frustrés par un cliffhanger durant depuis 2001 attendaient corps et âme une suite aux aventures de Ryo Hazuki. Non, ce jeu n'a pas pour vocation première de charmer un nouveau public découvrant la licence en 2019. Réclamé par les fans, financé par ces derniers, et développé pour eux, la question principale était donc de voir si Shenmue III répondait à ces attentes. Et c'est un pari réussi, même si le jeu souffre de nombreuses tares pour certaines indignes du standing de la licence et de son année de sortie. Les sensations sont là, l'ambiance au rendez-vous, et la magie opère une nouvelle fois, malgré tout. On ne joue pas à Shenmue III pour être émerveillé par des innovations incroyables ou recevoir en pleine face un effet "whaou" comme en 1999, mais tout simplement pour poursuivre un rêve interrompu pendant bien trop longtemps. Dès lors, on peut considérer le contrat comme étant rempli.