Essentiellement connu pour le manga Kings of Shôgi, Jirô Ando propose avec Sto:rage un thriller captivant se déroulant en deux tomes. Une décision plus forcée que choisie par le mangaka, Shinchôsha ayant décidé d’arrêter la série peu de temps après la publication du premier tome relié. Un choix éditorial que l’on peut regretter après la lecture du manga édité en France par Komikku Éditions.
Deux petits tomes et l’impression de passer à côté de quelque chose au potentiel fort. Telle est la sensation avec laquelle on ressort de Sto:rage, manga prépublié dans le mensuel Gekkan Comic @Bunch de Shinchôsha entre 2015 et 2016. Jirô Ando avait pourtant réussi à poser les bases d’un scénario à la fois complexe et captivant. Nous sommes en 2019, à la veille des Jeux Olympiques de Tokyo, et le Japon subit une vague de meurtres d’un genre particulier. Leur point commun ? Le meurtrier a extrait de chacune de ses victime leur globe oculaire gauche. Assigné à cette enquête, l’inspecteur Aoba va devoir collaborer avec l’EIMO, l’Equipe d’Investigation par Mémoire Oculaire, une division dirigée par la jeune Hitomi Tachibana et utilisant une technologie permettant d’analyser la mémoire contenue dans l’œil des victimes. Contrairement à la mémoire « classique », influencée par le temps qui passe et nos émotions, la mémoire oculaire est présentée comme infaillible car entièrement basée sur ce qui a été effectivement vu. Mais l’utilisation de cette technologie va faire avancer l’enquête dans une direction totalement inattendue en impliquant personnellement l’inspecteur Aoba…
La première chose qui marque dans Sto:rage est la qualité du dessin de Jirô Ando. Précis, fin, détaillé, le manga propose une qualité graphique clairement au dessus de la moyenne. Le choix de l’auteur de faire appel à des cellules centrées sur les personnages permet également de mettre en valeur des visages soignés et aux émotions parfaitement retranscrites. D’un point de vue purement visuel, le manga marque clairement la mémoire oculaire du lecteur. Une transition habille et totalement assumée par votre serviteur afin d’aborder ce qui constitue la pierre angulaire de l’intrigue. Permettant de donner au manga sa teinte de science-fiction lui donnant tout son charme, la mémoire oculaire est l’élément central qui va guider les enquêtes d’Aoba et de l’EIMO. Oubliez les analyses psychologies et le travail de recherches d’indices sur les scènes de crimes. Une simple photo de la rétine permet de faire ressortir les souvenirs les plus enfouis, ou les moins avouables. Idéal pour avancer dans une enquête, mais également sources de quelques passages comiques permettant d’apporter un peu de fraîcheur à une histoire tout de même bien sombre. L’utilisation de cette technologie est certes par moments tirée par les cheveux, faisant avancer l’intrigue de manière un peu forcée. Mais on oublie rapidement ce léger bémol tant cela permet à Sto:rage de se démarquer efficacement des autres manga d’enquêtes policières et de lancer des pistes de réflexions intéressantes sur le rapport à la vie privée.
Bien qu’ayant quelques lacunes en termes de narration, notamment un manque d’explications ou une présentation des personnages secondaires parfois survolée, le manga avance à un rythme soutenu faisant que l’on ne s’ennui pas une seule seconde. Le nombre de questions s’accumulant au fil du premier tome permet de garder le lecteur en haleine, faisant logiquement espérer l’obtention de réponses dans le second et ultime volume. Des espoirs malheureusement réduits en poussière par Shinchôsha, la maison d’édition ayant décidé d’arrêter le manga prématurément une fois le premier tome relié sorti dans le commerce. Avec seulement un petit volume pour arriver à une conclusion, Jirô Ando a fait de son mieux pour fournir quelque chose qui puisse tenir la route, rajoutant au passage une quarantaine de pages par rapport au tome précédent. Résultat, l’histoire s’emballe et nous livre quelques maigres réponses afin de satisfaire un minimum le lecteur. Mais cela est bien maigre face aux questions soulevées – et passionnantes – restant sans réponses. Terriblement frustrant. Mais pas assez pour déconseiller la lecture de Sto:rage.
(Sto:rage est édité chez Komikku et vendu au prix de 7,90€. Critique réalisée à partir de planches fourni par l’éditeur.)