Si le Japon n’a pas connu les mêmes restrictions que nous durant la pandémie de COVID-19, l’impact de celle-ci fût quand même bien réel sur la société nippone avec, notamment, une obligation du port du masque en toutes circonstances. Alors que les pays occidentaux ont rapidement levé l’obligation de le porter en extérieur, le Japon a en effet continué jusqu’à très récemment à pousser de toutes ses forces pour que cette obligation perdure, amenant toute une génération à vivre son adolescence sans avoir opportunité de voir le visage de ses camarades de classe. Une « nouvelle normalité » que Akito Aihara décrit à sa manière dans « New Normal ».
Dans un futur proche, après une pandémie dévastatrice, l’humanité tout entière est contrainte de porter quotidiennement un masque. Voir le bas du visage d’autrui est devenu une chose tellement rare que ce dernier fait l’objet de fantasme. Les distanciations sociales sont telles, que la vie d’avant que l’on peut voir dans les films par exemple, semble totalement irréelle. Hata, un jeune lycéen, va un jour apercevoir malencontreusement la bouche de sa camarade Natsuki. Cette dernière, qui éprouve une certaine fascination pour le monde d’avant, va se rapprocher de Hata pour assouvir sa curiosité… et peut-être chercher à savoir si ce qui se cache derrière le mur qui les « protège » n’est pas le Tokyo d’avant.
New Normal est édité chez Kana et est vendu au prix de 7,90€.
Critique réalisée à partir d’un exemplaire fourni par l’éditeur.
S’il avait été publié quelques mois auparavant, New Normal aurait sûrement été un « simple » récit d’anticipation nous plongeant dans un Japon dévasté par une pandémie et où l’humanité se doit de vivre constamment masquée, même dans la plus stricte intimité. Mais en ayant commencé sa prépublication en 2020 sur le site Comic Owl de l’éditeur Funguild, le manga de Aihara Akito est en fait un récit aux problématiques contemporaines et écrit en réaction à l’actualité du moment. Débuté lors des débuts de pandémie, il nous présente ainsi un futur proche où l’usage généralisé du masque suite à une épidémie dévastatrice, mais qui ne dit pas son nom, a engendré une société où voir le visage, et plus particulièrement la bouche, est devenue une sorte de fantasme peut-être même encore plus fort que les corps dénudés.
Pour dépeindre ce « futur proche », l’auteur a fait le choix de la romance. Dans ce monde aseptisé où l’on se cache la bouche même lors d’un repas à la maison avec ses proches, le choix du récit romantique est intéressant car il permet de jouer avec des codes établis depuis longtemps. Alors que les récits du genre mettent généralement en scène des situations embarrassantes à base de petite culotte ou de poitrine, New Normal présente comme tabou ultime le fait de voir la bouche d’autrui, comme si c’était le summum de l’érotisme. Plus généralement, le contexte sanitaire permet à ce récit, qui n’est au fond qu’un classique triangle amoureux, de gagner en saveur et d’être clairement plus intéressant. Les regards, les odeurs, les repas, toutes ces petites choses pourtant anodines du quotidien prennent une tout autre dimension quand son visage est constamment recouvert d’un tissu, et voir ces adolescents s’affranchir de la contrainte du masque et découvrir certains plaisirs basiques a quelque chose d’assez touchant. Il est juste un peu dommage que le mangaka force parfois un petit peu trop le trait avec des règles un peu « too much » en quantité trop importantes et qui donnent parfois envie de crier « c’est bon, on a compris ! ».
A contrario, le dessin bénéficie d’une grande finesse et le travail sur les visages est – paradoxalement vu l’omniprésence des masques – remarquable. Il y a vraiment un côté « trésor caché » dans le fait que les minois de tout le monde soient cachés, et on se retrouve autant subjugué que Hata quand on est amené à découvrir certaines expressions faciales. Dommage cependant que les décors n’aient pas bénéficié du même traitement, car on se retrouve très fréquemment face à des arrière-plans d’une blancheur immaculée. Mais l’important n’était pas vraiment là.
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