Dix-huit ans qu’il attendaient cela. Dix-huit ans d’espoirs, de doutes, de résignation, mais qui ont enfin abouti à ce mois de septembre 2019. Deux mois avant sa sortie en magasin, Shenmue III s’est enfin révélé directement à son public à l’aide d’une démo jouable sur PC. Pas bien longue et grandement bridée, celle-ci fût tout de même l’occasion de découvrir pour la première fois un jeu qui rassurera les fans. Et qui laissera les autres, au mieux, de marbre.

Configuration de l’ordinateur ayant servi à la preview : Intel i5-7400, GTX 1050, 16Go RAM DDR4

Après des mois à souffler le froid et bien trop rarement le chaud au fil des trailers et des informations distillées par le trio Ys Net/Deep Silver/Shibuya Productions, les premiers retours de la presse lors du dernier E3 avaient visiblement terminé d’enterrer Shenmue III. Seules quelques voix, venant majoritairement de sites de fans, se détachaient de cette morosité ambiante pour oser apporter un point de vue différent sur ce jeu tant attendu. La « Trial Version » promise aux backers étant enfin disponible, l’heure est venue pour ceux ayant mis à la main au portefeuille de se faire leur propre avis. Une situation dans lequel se trouve votre serviteur, généreux donateur au Kickstarter dès son annonce lors de l’E3 2015.

Les poids des années

Porter un jugement sur Shenmue III est un exercice bien plus compliqué qu’il n’y parait. D’un côté, la nécessité d’évaluer le jeu comme un titre de 2019 est réelle et somme toute normale. Un néophyte découvrant la série avec cet opus, ou ayant fait connaissance avec elle grâce à la compilation Shenmue I&II sortie l’année dernière, n’aura évidemment pas la même approche ni les même critères d’évaluation que quelqu’un ayant attendu la moitié de sa vie la suite de sa saga fétiche. De l’autre, il est indispensable d’avoir à l’esprit qu’il s’agit d’un jeu à destination des fans et ayant vu le jour grâce à 14 ans de lobbying acharné de leur part. De quoi engendrer de sacrés maux de crâne tant les deux points de vues semblent inconciliables.

Durant cette Trial Version durant à peu près une heure, si on flâne, ou moins de 5 minutes, si l’on va directement affronter un personnage donné et qu’on le bat, le joueur lambda et extérieur à la série aura ainsi l’impression d’une mauvaise blague. Celui-ci n’arrivera pas à se défaire de cette sensation de jeu sommaire techniquement et où les animations semblent n’avoir pas évolué d’un iota depuis le début des années 2000. Les animations faciales, principal point de moquerie depuis les premiers trailers, sont d’une rigidité folle mais le résultat est, il faut l’avouer, tout de même bien meilleur que lors des toutes premières vidéo. Une rigidité qui touche de manière générale la totalité des mouvements des personnages et Ryô ne semble pas avoir enlevé de son arrière train le balais qu’il y cache depuis le premier opus sur Dreamcast. Au delà de la technique pure, c’est la structure même du jeu qui risque de donner des sueurs froides aux amateurs de AAA au budget démesuré, ce qu’étaient les deux premiers Shenmue à l’époque. Shenmue III reprend en effet totalement gameplay de ses prédécesseurs pour les livrer de nouveau dans leur jus, mais 18 ans plus tard. Hormis les combats, rien n’a été véritablement revisité et l’impression de jouer à un jeu de 2003 est belle et bien présente. Parsemé de murs invisibles, Shenmue III n’offre également qu’une liberté limitée et il est par exemple impossible de traverser un cours d’eau de 5cm de profondeur ou de passer au dessus d’une barrière en bois d’à peine un mètre. Frustrant en 2019, même si les deux premiers opus étaient déjà basés sur cette fausse apparence de liberté totale.

Les fans seront comblés

Pour les amoureux de la saga crée par Yu Suzuki, le constat s’avère toutefois radicalement différent. Pas pour une raison de fanboyisme ou d’aveuglement occultant toute faculté de jugement. Non, tout simplement car les attentes de ces derniers envers Shenmue III ne sont pas les même. On parle tout de même de personnes qui auraient été satisfaites si Yu Suzuki avait lâché la conclusion de la série sur un bout de sopalin tant la cause semblait perdue à une époque.

Oui, cette démo ne donne pas l’impression que la série a évolué en 18 ans. Mais les fans seront justement aux anges de découvrir Shenmue III dans son jus, comme si le jeu avait été développé dans la foulée de Shenmue II mais qu’il ne sortait que maintenant. Manette en main, les sensations reviennent immédiatement et le plaisir est total. Appuyer sur la gâchette droite pour faire courir Ryô, déambuler dans des ruelles et faire avancer son enquête en interrogeant les PNJ, jouer au gatcha ou encore s’adonner aux mini-jeux, rien n’a vraiment changé. Certes, tout est aussi rigide qu’en 2001. Mais redécouvrir la recette qui a fait le succès du jeu à l’époque est un plaisir indescriptible qui comblera totalement les fans.

La technique limitée du jeu sera quant à elle rapidement occultée par l’ambiance et l’esthétique, visuelle au sonore, retranscrivant fidèlement l’esprit de Shenmue tant d’années plus tard. Une immersion qui commence dès les premières secondes de la démo avec son petit pont en bois surplombant un cours d’eau entouré d’une superbe parterre de fleurs colorées. Alors, en effet, on n’aurait pas été contre le même environnement mais avec une technique digne de 2019. Mais l’équipe de Yû Suzuki a réussi à offrir quelque chose d’esthétiquement accompli malgré de fortes limitations techniques. Dans un sens, une certaine prouesse.

Parmi les quelques nouveautés aperçues dans cette démo, celle qui saute immédiatement aux yeux concerne le système de combat. Complètement revisité, celui-ci impose désormais de s’appuyer sur les boutons dans un ordre particulier pour lancer des attaques. Perturbant au début, particulièrement en raison d’une forte impression de latence entre l’input et les coups, celui-ci est devenu de plus en plus plaisant au fil des combats mais on attendra de s’y plonger avec un Ryô aux caractéristiques un peu plus développées pour se faire un réel opinion dessus. Car Shenmue III intègre des éléments venus du RPG avec des points de compétence à faire fructifier afin de devenir un véritable maitre du kung-fu.

Dès lors, que retenir de cette démo ? Un jeu d’un autre temps, daté aussi bien dans la forme que dans le fond ? Ou un aperçu de ce qui aurait été probablement un « GOTY » en puissance au début des années 2000 mais dont on nous aurait privé la jouissance pendant bien trop longtemps ? Tout dépendra de votre relation avec la série. Les backers seront en tout cas satisfait de ce qu’ils auront entre les mains et c’est le plus important.