Nous sommes le 1er mai à minuit au Japon et le pays vient de basculer dans l’ère Reiwa. Un changement d’époque qui accompagne l’abdication de l’empereur Akihito au profit du prince héritier Naruhito.

C’est une page de l’histoire du Japon qui vient de prendre fin. Après 30 ans et 5 mois de règne, l’empereur Akihito vient de céder sa place sur le trône au prince héritier Naruhito, désormais 126ème empereur, ou tennô en japonais, marquant par la même occasion le basculement de l’ère Heisei (« accomplissement de la paix ») à l’ère Reiwa (« belle harmonie »). Une succession faite lors du vivant de l’ancien empereur, une première depuis deux siècles.

Au delà du changement de souverain, décrit par la constitution nippone comme étant le « symbole de l’État et de l’unité du peuple », c’est à une époque à laquelle les japonais viennent de dire au revoir. Débutée le 8 janvier 1989, l’ère Heisei a été le théâtre de bouleversement majeurs dans la vie des japonais à commencer par l’éclatement de la « bulle », période dorée où l’argent coulait à flot, pour laisser place à la « décennie perdue » marquée par une lente dégradation de l’économie (faible croissance, déflation, hausse du chômage) dont les effets sont encore visibles de nos jours. Heisei, c’est également des drames comme l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo (1995), le séisme de Kobé et ses 6437 morts (1995), ou le plus récent séisme du Tohoku et la catastrophe nucléaire qui en a découlé (2011). Le tout enrobé d’un cadre politique des plus instable où pas moins de 13 Premiers ministres se sont succédé durant les deux premières décennies, n’aidant pas vraiment le pays à prendre les mesures nécessaires à son relèvement.

Mais ces 30 années ont aussi été l’occasion de voir la culture populaire nippone s’exporter hors du Japon au point que la culture « otaku » soit célébrée à travers le monde lors d’événements d’envergue comme Japan Expo et que les mangas, animes et jeux vidéo nippons autrefois cantonnés à l’archipel soient désormais accessibles en grande partie au public étranger. Un développement à l’international qui a surpris les japonais eux-même, les étrangers s’étant appropriés ce pan de leur culture alors que le gouvernement ou les sociétés du pays ne voyaient pas encore l’international comme une priorité. C’est ainsi uniquement au début des années 2010 que le gouvernement japonais a lancé sa campagne Cool Japan visant à promouvoir l’industrie culturelle et créative du pays à travers le monde, une époque où près de 200,000 personnes se rendaient déjà à Japan Expo pour célébrer des artistes comme les Morning Musume, Yoshiki, Tsukasa Hôjô ou Hideo Kojima.

En durant 30 années, Heisei a vécu le temps d’une génération. Première génération à connaitre le déclin économique mais également à s’ouvrir réellement à l’international, les enfants de Heisei n’ont pas connu le faste des grands heures de Shôwa (1926-1989) où l’on appelait les taxis en brandissant des billets de 10,000 yens (environ 90€) à bout de bras au bord de la route. Découvrant la dureté de la vie professionnelle japonaise sans l’abondance d’argent qui va avec, leur mentalité a également évolué, certes lentement. Les Yutori (sans pression), surnom donné à la génération née entre la fin des années 80 et le début des années 2000 en raison de son éducation plus souple, est ainsi arrivée sur le marché du travail avec, au désarroi des employeurs, des volontés de liberté et de compréhension. Adieu les pots imposés entre collègues le soir, au revoir les ordres donnés sans explication et remis en cause à base d’incessants « Pourquoi ? », et bonjour les velléités de rentrer chez soi une fois arrivée l’heure contractuelle de fin de journée. S’ils ne remettent pas en cause le modèle sociétal nippon dans sa globalité, ces nouveaux employés en rejettent certains aspects des plus contraignants pour privilégier leur vie privée et leur développement personnel. Une première qui a fait grincer de nombreuses dents parmi les plus hauts placés dans les hiérarchies d’entreprise, formés à la dure dans un système hyper-compétitif. Mais les récents cas médiatisés de décès par excès d’heures supplémentaires sont toujours là pour nous rappeler qu’il reste, malgré tout, un long chemin à parcourir avant que l’équilibre vie privée/vie professionnelle ne soit une réalité sur l’archipel.

Nous voilà donc désormais en l’an 1 de Reiwa, soit l’ère de la « belle harmonie ». Un nom porteur d’espoirs tel le printemps qui succéderait à un rude hiver de décennies où l’archipel a vécu de nombreux bouleversements. C’est tout du moins tout ce que l’on souhaite aux japonais.